31 mai 2009

Gueule de bois chez les vignerons



Au pays du vin, la consommation est en chute libre. En 50 ans, les Français ont divisé par trois leurs habitudes. Désormais, la consommation moyenne annuelle de vin, selon les derniers chiffres publiés par le ministère de l'Agriculture, s'élève à 43 litres. Cela équivaut à un ballon de vin par jour et par personne.


A cela s'ajoute la crise, les exportations de vin français ont chuté de près de 30 % au premier trimestre. Cette baisse s'explique par le recul de la consommation dans les pays importateurs, mais aussi par la volonté des intermédiaires de réduire leur stock. Cette crise a une affectation particulière pour les vins haut de gamme et le champagne notamment au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Japon.


Les ventes de champagne se sont effondrées de 27% sur les premiers mois de 2009. Le champagne est le meilleur reflet du moral des ménages, estime Lionel Breton, patron de Mumm dans un article du Figaro. Conséquence, même si la prochaine vendange est bonne, les vignerons champenois risquent de vendre beaucoup moins de raisin qu'à l'automne dernier compte tenu du niveau de stock invendu.


"À Bordeaux, les grands crus sont des grimpeurs, très bons dans les côtes et très mauvais dans les descentes. Cette incapacité à négocier les baisses provoque régulièrement des chutes collectives spectaculaires. Et c'est exactement ce qui est en train de se passer. Les prix avaient commencé à s'emballer avec 2003, millésime de la canicule, surcoté par les dégustateurs américains, séduits par la puissance alcoolique et les saveurs confiturées de ces vins hors norme, mais dans la plupart des cas sans finesse. Avec 2004, petit millésime sympathique, beaucoup avaient baissé, un peu, mais pas trop quand même. Puis, il y a eu le grand décollage de 2005, le millésime exceptionnel. Les prix ont alors grimpé jusqu'au ciel ou presque. Il eût été raisonnable ensuite de revenir avec le 2006 et surtout le 2007, gentil mais pas grand vin, à des tarifs incitatifs pour le consommateur.


On pourrait imaginer qu'une certaine logique dicte la conduite des propriétaires ou de leurs représentants : à bon millésime, bon prix ; à petit millésime, petit prix. Mais ce n'est pas le cas. Car, entre la réalité du marché, c'est-à-dire le consommateur, et le producteur, il y a un amortisseur : le négociant. Les grands crus ne vendent pas en direct. C'est le négociant qui achète, et se charge de revendre aux quatre coins de la planète. Il gagne copieusement sa vie avec les 2005. C'est très bon, tout le monde en veut et, même si c'est affreusement cher, sa marge reste large. Quand arrivent les 2006 et surtout les 2007, les amateurs se font plus rares. Mais lui, le négociant, est tout de même obligé de les acheter. Sinon, le propriétaire lui fait fermement comprendre que, si un nouveau 2005 arrive, il n'en aura pas une caisse. On appelle cela les allocations . Donc, pour ne pas perdre ces fameuses allocations, le négociant achète et stocke en attendant des jours meilleurs. Lesquels ne sont pas arrivés, loin s'en faut, en ce printemps 2009. À partir de là, l'état des lieux n'est pas difficile à établir. Les 2006 et 2007 retenus par les négociants trouvent difficilement preneur auprès des revendeurs et encombrent le marché. La crise mondiale provoque même un début de revente des fameux 2005. En Angleterre, on propose certains crus de ce millésime au-dessous du prix de sortie de la propriété... Autant dire qu'en dehors des spéculateurs - les wine speculators -, qui ne s'intéressent qu'aux grands premiers, l'amateur étranger se fait rare et prudent. Le prix proposé en primeur doit être vraiment au-dessous du prix livrable. Les grands premiers - Margaux, Lafite, Latour, Mouton - ont quasiment divisé leurs prix par deux (- 59 % pour Yquem). Les autres crus ont suivi, avec des baisses moins importantes (ils partaient de moins haut). But de la manoeuvre : avec des prix très attractifs, relancer un marché bloqué. Mais vendre moins cher 2008 que 2007 alors que le vin est supérieur, c'est admettre qu'on s'est un peu offert la tête du client avec les 2007 ! Équation pas facile à résoudre.


Treize à la douzaine. Certains crus ont donc décidé de faire un geste en direction de leur clients. Giscours va livrer ses 2007. Ils viennent d'être mis en bouteille. Le château offrira aux négociants du treize à la douzaine : une caisse plus une bouteille, comme pour les huîtres... Léoville-Poyferré fait encore plus fort en livrant quatorze bouteilles de 2007 pour douze achetées à tous ceux qui commandent du 2008. Une sorte de baisse camouflée. Elle devrait permettre aux négociants de proposer des prix plus compétitifs aux revendeurs et donc, in fine, aux consommateurs. Des décisions qu'une partie du milieu professionnel approuve et qu'une autre critique : "Si on commence comme cela, avec les acheteurs de la grande distribution, on n'a pas fini ! Tous les ans, ils vont demander une ristourne ou des caisses en plus", s'exclame un propriétaire. C'est pour cela que Jean Gautreau et John Kolasa ont choisi le devoir de réserve : "J'ai de la place, je préfère stocker mes 2008 et ne pas perturber mes acheteurs. On le vendra au fur et à mesure de la demande, sans obliger les négociants à s'engager. Il faut attendre que le marché s'éclaircisse...", dit encore Jean Gautreau. Cela peut prendre du temps. Celui nécessaire à "l'écoulage" des stocks. De ce point de vue, les foires aux vins de septembre pourraient être fort intéressantes pour les consommateurs. Les représentants de la grande distribution se sont faits très discrets à Bordeaux ce printemps. Peu ont acheté, et pas grand-chose. En revanche, on les dit assez présents chez les "soldeurs". C'est en effet bien tentant pour les enseignes de récupérer tout ce qui est bradé dans les millésimes précédents pour les offrir à bas prix lors des foires aux vins. Elles avaient débuté ainsi, avec le millésime 1984 vendu trop cher à la propriété et bradé ensuite... L'histoire se répète. Mais ces célébrités qui attirent regards et commentaires - les grands crus - ne sont pas tout à Bordeaux. Loin de là, puisqu'ils représentent à peine 5 % des volumes"

ARTICLE DU POINT

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